Alexandra Soulier, Avocat Montpellier

L’obligation vaccinale du salarié : « Qui s’y frotte s’y pique ! »
ENTRETIEN - Maître Alexandra Soulier, avocat à la cour, spécialisée en droit du travail, revient sur l’application de la nouvelle loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.
Que dit la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ?
Cette loi s’inscrit dans la loi du 21 mai 2021 et étend, au 15 novembre, le pass sanitaire, initialement prévu jusqu’au 30 septembre. La grande nouveauté, c’est l’instauration de l’obligation vaccinale et la sanction du salarié qui refuserait de se conformer à justifier de sa vaccination complète ou de son pass sanitaire. Pass sanitaire qui peut être justifié de façon virologique par un autotest, un test PCR ou antigénique, un certificat de rétablissement ou encore par un certificat de vaccination. 

Que se passe-t-il pour un salarié réfractaire ?
Son contrat peut être suspendu et cela s’accompagne de l’interruption du versement de la rémunération, qui prendra fin dès que le salarié présentera le justificatif requis. Précisons que sauf exceptions, les personnes qui sont habilitées, dans le cadre de la loi, à vérifier le pass sanitaire ou l’obligation vaccinale n’ont pas le droit de vérifier l’identité de la personne ni de connaître l’état de santé du salarié ou du client (secret médical).

Salarié et employeur peuvent-ils trouver d’autres solutions que la sanction pure et dure ?
Oui, en accord avec son employeur, le salarié peut poser des congés. Encore faut-il qu’il en ait. Et dans certains secteurs, comme la santé, au vu de la situation sanitaire, c’est difficilement envisageable, voire impossible. En droit du travail, il existe l’inaptitude à occuper son emploi. Cela passe par un avis rendu par le médecin du travail. Il y a fort à penser que cette piste soit explorée pour se soustraire à une éventuelle sanction pécuniaire. En pareille hypothèse, et sous réserve que le salarié soit en arrêt maladie, il pourrait percevoir des indemnités journalières de sécurité sociale. Un licenciement pour inaptitude pourrait alors prendre le relais. L’avantage étant que le salarié aurait droit à des indemnités journalières de sécurité sociale. En outre, pendant cette période, l’employeur ne peut pas s’immiscer chez lui. Il est donc probable que cette voie juridique soit explorée. En effet, cette hypothèse apparaît plus favorable au salarié, plutôt que de partir avec une suspension temporaire de son contrat de travail et du versement de sa rémunération corrélative.

Les salariés qui ne se soumettent pas à la loi peuvent-ils être licenciés ?
Dans les débats parlementaires, la sanction du licenciement a été exclue. La loi ne prévoit donc pas qu’un salarié récalcitrant s’expose à son licenciement. D’ailleurs, une disposition de la loi a été déclarée anticonstitutionnelle. Le projet de loi prévoyait que le contrat d’un CDD pouvait être rompu pour un salarié récalcitrant. Le Conseil constitutionnel a indiqué que cette loi instituait une rupture d’égalité entre les CDD et les CDI. En conséquence, le CDD ne peut être rompu au seul motif que le salarié refuse de se faire vacciner. 

Vous avez décelé une faille du législateur en droit social concernant la suspension du salaire lorsqu’un salarié refuse la vaccination. Quelle est-elle ?
D’un point de vue juridique, la sanction qui se rapproche le plus à cette nouvelle disposition, c’est la mise à pied conservatoire avec suspension du salaire. Elle est utilisée en droit social quand l’employeur veut mettre immédiatement à pied un salarié parce qu’il a commis une faute grave. Si, à l’issue des investigations, la faute grave est établie, l’employeur licencie son salarié qui ne sera pas rémunéré pendant toute la période durant laquelle il a été suspendu. Et c’est le seul cas et le seul motif valable entériné par la jurisprudence pendant lequel il est autorisé, pour l’employeur, de ne pas payer le salarié pendant sa suspension de contrat. En revanche, si la faute grave n’est pas établie, l’employeur devra lui payer son salaire de façon rétroactive. Tel est notamment le cas lorsque c’est, in fine, un licenciement pour faute qui est notifié. Il faut comprendre que seule la faute grave justifie le non-paiement du salaire pendant la mise à pied conservatoire. Et donc, là, aujourd’hui, avec le Covid et l’obligation vaccinale, on nous dit : « Si un salarié est réfractaire, vous avez le droit de le suspendre de l’entreprise et pendant toute la période où il ne montre pas patte blanche, vous lui supprimez son salaire ! » Cette loi s’inscrit donc à rebours d’un principe général du droit du travail édicté par l’article L1331-2 du code du travail qui dispose : « Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite ». Cet article a été reconnu comme principe général du droit du travail par le conseil d’État en 1993. Pour les employeurs, c’est un véritable casse-tête car ils se retrouvent désormais avec deux textes de loi qui s’opposent. Si on va plus loin : prenons l’exemple d’un employeur qui respecte scrupuleusement la loi du 5 août 2021 en suspendant son salarié et sa rémunération. Si demain, son salarié le met aux Prud’hommes en contestant la loi et en justifiant d’une lettre de “prise d’acte de rupture” du contrat, il s’expose à être condamné. Car le non-paiement du salaire est considéré comme un manquement grave en droit social. La “prise d’acte de rupture” pourrait produire les mêmes effets qu’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Avec de juteuses indemnités pour le salarié. La jurisprudence sociale nous éclairera donc bientôt sur le sujet. 

Source: MIDI-LIBRE - MERCREDI 1 SEPTEMBRE 2021 
Propos recueillis par Laurent Vermorel
 

Septembre 2021
Alexandra Soulier
Avocat à Montpellier
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* Avocat séléctionné pour ses compétences et capacités professionnelles par Sitipro